La coca, un enjeu au cœur des relations Nord-Sud

L’histoire de la coca, de sa découverte lors de la conquête espagnole, de sa transformation progressive en cocaïne puis de son interdiction à l’échelle internationale, est une histoire ambiguë, riche en paradoxes contre-vérités et assimilations hâtives… Au point qu’une question se pose: si la coca n’était pas l’apanage de quelques états sud-américains dont l’importance sur la scène internationale reste aujourd’hui encore, relative, la législation actuelle serait-elle la même ?
Une 1ére remarque s’impose: “la coca no es cocaïna” (la coca ce n’est pas de la cocaïne) ainsi que le scandaient les foules de manifestants rassemblés lors des journées de l’acullicu (se dit de la mastication ancestrale des feuilles de coca), en Bolivie en mars 2012.

La coca no es cocaïna
La cocaïne est issue de la feuille de coca après un long et compliqué processus chimique de transformation. Réduite à l’état de poudre blanche elle est la majeure partie du temps, sniffée. La coca au contraire, est le plus souvent mastiquée: on rassemble ses feuilles en une boule qu’on place au creux de sa joue et dont on suce le jus. Sinon, elle est également infusée dans de l’eau chaude comme du thé.
La feuille de coca: histoire et traditions
La coca occupe encore aujourd’hui une place très importante dans la culture bolivienne (particulièrement des hauts plateaux). Elle est également présente au Pérou, au Chili et dans le Nord de l’Argentine. Réputée pour ses vertus nutritives et médicinales, on la mastique notamment dans le but de résister à l’altitude et de modérer la faim. L’IRD( Institut de Recherche pour le Développement) constate ainsi: la feuille de coca “ leur permet (aux paysans andins) de soutenir un effort plus prolongé et stimule leur système respiratoire” En Amérique du sud, cette tradition de la mastication remonte á prés de 5000 ans.

Les plus anciennes traces ont été retrouvées au Nord du Pérou entre 2500 et 1800 ans avant JC. Dans la culture de Tiwanaku, civilisation pré inca qui domina les Andes centrales pendant plusieurs siècles, la feuille de coca revêtait déjà un caractère central: symbole de l’union entre le sacré et le profane, elle était notamment un médiateur pour entrer en contact avec les divinités. Il en était de même chez les Incas où elle restait un privilège réservé aux personnes de très hauts rangs (quoique qu’elle soit ponctuellement distribuée lors de grandes occasions). Cette dimension magico-religieuse est toujours présente aujourd’hui: on lit ainsi dans les feuilles de coca pour connaître le passé, le présent, diagnostiquer une éventuelle maladie et guérir. La feuille de coca est également indispensable pour toute offrande à la Pachamama et au centre des relations sociales chez les indiens de l’altiplano.
Colonisation espagnole des Amériques et apparition de la cocaïne
En Bolivie de nombreuses personnes aiment á rapporter cette légende, reprise au musée de la coca de la Paz: « Quand le conquistador blanc a touché la feuille de coca, tout ce qu’il a trouvé c’est du venin pour son corps et de la folie pour son esprit et quand la coca a tenté d’apaiser son cœur, ça n’a fait que le briser comme le cristal de glace détruit les montagnes  » L’attitude des Européens face á la feuille de coca a été d’une ambivalence totale oscillant le plus souvent entre dégoût et fascination. Amerigo Vespucci ( grand explorateur italien qui donna son nom au continent), décrit ainsi la mastication en 1505: “ Ils étaient très laids de corps et de visages; ils avaient tous les joues remplies d’une herbe verte qu’ils ruminaient comme des bêtes” Outre d’ assimiler les amérindiens à de bêtes ruminantes, la mastication de la coca les rapprochaient également selon l’église du diable. C’est ainsi que le conseil ecclésiastique de Lima en 1551, en vient à en interdire la consommation considérée comme un obstacle á la christianisation. Dans un premier temps, l’Inquisition ordonne donc l’éradication des cultures de coca. Mais l’heure étant à l’extraction de l’or et de l’argent, surabondant notamment dans les mines de Potosi, les européens ont besoin d’une main d’œuvre productive. Or sans consommation de coca , le rendement des Indiens s’effondre. En 1573, Philippe II autorise donc à nouveau les cultures de coca. Les propriétaires des mines et grandes propriétés imposent la mastication à leurs “employés” et l’Inquisition une dîme sur la coca. Parallèlement les Européens découvrent également les vertus médicinales de la feuille de coca utilisée comme anesthésiant local par les Incas pour des prouesses médicales telles que des trépanations cérébrales.

Elle sera particulièrement utilisée en Europe pour les anesthésies dentaires et oculaires. Mais, ce n’est qu’à la fin du XIX siècle qu’Albert Nieman, chimiste allemand , parvient à élaborer la cocaïne purifiée telle que nous la connaissons aujourd’hui.
La cocaïne et l’émergence d’un marché lucratif
Dés les années 1860, on assiste progressivement en Europe, au boom de la cocaïne légale. Trés populaire, la cocaïne sera durant cette période incorporée à de nombreux produits: cigares, cigarettes, chewing-gum mais aussi recommandée comme traitement des troubles gastriques, du mal de mer, ou encore des addictions à l’opium, à la morphine et à l’alcool. Le vin Mariani (du nom de son créateur, le chimiste corse Angelo Mariani) fera ainsi fureur.

Élaboré á base de vin de bordeaux et de cocaïne (6 á 7 mg par bouteille), il comptera parmi ses plus fervents adeptes de nombreuses personnalités. Le pape Léon XII lui accordera ainsi une médaille d’or et Emile Zola disait à son propos « J’ai à vous adresser mille remerciements, cher Monsieur Mariani, pour ce vin de jeunesse qui fait de la vie, conserve la force à ceux qui la dépensent et la rend à ceux qui ne l’ont plus. » (1895) Cette boisson aurait peut-être inspiré le pharmacien américain John Pemberton à qui on doit la création en 1885, du très célèbre coca-cola. Celui-ci contenait initialement environ 9mg de cocaïne par verre. Officiellement Coca-Cola ne contient plus de cocaïne depuis 1903, mais suite à un contrôle surprise de la US Food, Drug and Insecticide, on en découvre encore des traces après 1929 ( cf Coca-Cola, L’enquête interdite – William Reymond)

Coca et cocaïne, un amalgame au service d’une législation répressive

Bien que 41 produits chimiques soient nécessaires pour séparer la cocaïne de la feuille de coca, dans la législation internationale autant que dans l’esprit de la majorité, on confond les deux. La 1ére réglementation sur la cocaïne est une loi fédérale des États-Unis, le « Harrison Act » (1914) qui met fin à l’utilisation légale de la cocaïne au profit de son seul usage médical. Elle marque le début d’un combat acharné des États-Unis contre les drogues en général et la coca en particulier. Mais la coca/cocaïne n’est pas seulement nocive pour les consommateurs dans leur grande majorité occidentaux. Elle serait également selon un rapport de 1950 des Nations Unies sur la pauvreté en Amérique latine, responsable de la malnutrition voir du « retard mental » des populations des régions andines et donc de la pauvreté du sous-continent . Il apparait dés lors indispensable d’acquérir des instruments législatifs internationaux à la hauteur de ces enjeux ¡ En 1961, l’ONU adopte donc la Convention unique sur les stupéfiants. La plante de coca est alors assimilée à une drogue et sa mastication, sa culture, sa commercialisation et son exportation interdites.

Evo Morales et la défense de la feuille de coca.

Dans les années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la convention de Genève, le gouvernement bolivien a mené une politique d’éradication des cultures de coca sous la supervision de la DEA, l’agence anti-drogue américaine. Evo Morales, leader syndical des cocaleros (producteurs de feuilles de coca) a été durant de nombreuses années un fervent opposant à cette politique. En 2006, il devient le 1er président d’origine amérindienne à être élu en Bolivie. Si d’un coté, il affirme sa volonté de lutter contre le trafic de drogue, il entame parallèlement un combat afin de dépénaliser au niveau international la culture de la coca et faire reconnaitre la mastication comme une tradition millénaire.

En 2008, suite à des soulèvements dans le sud du pays, Evo Morales décide de suspendre les activités de la DEA qu’il soupçonne d’espionnage et de soutien à des groupes politique d’opposition En 2010, le gouvernement bolivien présente par ailleurs devant les Nations Unies un amendement á la Convention de 1961 visant à reconnaitre les bénéfices de la coca et la pratique de l’acculicu (mastication). Cet amendement est cependant rejeté suite à l’opposition de 18 pays. Evo Morales entreprend alors une nouvelle stratégie: en juin 2011 il exclut officiellement son pays du dispositif de la convention de 1961 et présente une demande de réintégration avec la réserve de ne pas criminaliser la feuille de coca. Si seulement 63 états membres de Nations Unies (soit 1/3) s’ y opposent, la Bolivie ne pourra pas être réintégrée. Janvier 2013 le verdict est tombé ! 169 pays sur 183 ont décidé de soutenir la demande de réintégration de la Bolivie. Les pays qui s’y sont opposés parmi lesquels La France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie, le Canada, l’Allemagne et la Russie…ont du s’incliner. «Non seulement nous avons légalisé la mastication, mais aussi la culture de la feuille de coca, c’est un double triomphe!» s’est exclamé Evo Morales. Reste maintenant à déterminer si la Bolivie pourra ou non exporter de la coca ainsi que le souhaite son président et bien qu’aucune disposition de la convention ne le prévoit clairement.

Quelques remarques pour conclure:
La cocaïne représente moins de 1% des 14 alcaloïdes pouvant être extraits de la feuille de coca, d’où la nécessité d’utiliser 110 kilos de feuilles de coca pour produire environ 600 grammes de cocaïne.

Selon le rapport de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS) du 1er mars 2006, la cocaïne arrive au deuxième rang des drogues dont l’usage est le plus répandu en Amérique du Nord. Il est estimé que les États-Unis comptent à eux seuls 2,3 millions d’usagers sur les 13 millions de personnes environ qui en consomment dans le monde. Aujourd’hui 36 pays sont autorisés à produire et consommer légalement la cocaïne : ils forment le « club de la cocaïne légale ». En sont membres : les États-Unis (500 kg par an), la Grande Bretagne (365kg), la France (288 kg par an). La Bolivie et le Pérou n’en font pas partie. Aujourd’hui seules les multinationales tirent les bénéfice de la pharmacopée moderne à base de cocaïne (source, Museo de la coca, La Paz)». Et pourtant, en Bolivie, la feuille de coca permet la production de maté, sucreries, pâtes dentifrices, liqueurs, sirops ou encore de gâteaux sans oublier le fameux Coca Colla, boisson gazeuse énergisante élaborée à partir de la fameuse feuille « sacrée ».

Ainsi que le démontre très bien, l’édifiant reportage de France 2 “A qui profite la cocaïne”, la guerre menée par les États-Unis contre le trafic de drogue en Amérique du sud poursuit bien d’autres desseins que la seule éradication des cultures de coca…Si le rapport annuel sur la lutte antidrogue, présenté en Mars dernier par le département d’Etat des États-Unis, épingle la Bolivie, le Venezuela et la Birmanie jugés défaillants, César Guedes, représentant des Nation Unies en Bolivie a pour sa part remercié le gouvernement pour ses efforts de contrôle. D’après les Nations Unies “la guerre contre la drogue n’a pas chassé la coca des Andes” Coca-Cola est, aujourd’hui encore, le principal importateur mondial de feuilles de coca, comme l’ont confirmé les autorités péruviennes et boliviennes, où sont cultivées les sulfureuses feuilles. De nombreux autres pays ont émis des réserves à l’adoption de cette convention

En complément n’hésitez pas à consulter notre vidéo « La coca no es cocaïna »

SOURCES

Elise Jaunet