L’Argentine « en-quête » d’identité

Depuis les années 90, on observe en Argentine et en Amérique du Sud en général une revendication de plus en plus visible des racines indigènes de ces territoires.

« Los Mexicanos descienden de los Aztecas, los Peruanos de los Incas y los Argentinos de los barcos… »« Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas, les Colombiens des Mayas, les Argentins descendent du bateau… »

Ce proverbe, populaire en Argentine, est attribué au poète et écrivain mexicain Octavio Paz. Volontairement ironique, il n’en révèle pas moins une particularité essentielle de l’identité argentine : celle de ses racines très fortement, et non exclusivement, européennes. « Il n’y a pas eu en Amérique latine, un pays autant décidé que le nôtre à recevoir des immigrants », remarque l’écrivain argentin Marcos Aguinis dans son livre L’atroce enchantement d’être Argentins.

L’Argentine, « blanchie » ?
La construction de l’État argentin, à partir de son indépendance des Espagnols en 1816, s’est articulée selon deux principes majeurs. D’un côté, un recours massif à l’immigration, principalement européenne car considérée comme porteuse de progrès (cf article 25 de la Constitution de 1853). De l’autre la création d’un État centralisé, sur l’exemple des états européens, accompagnée de l’ exclusion, voire du massacre de ceux qui refusaient de se soumettre au pouvoir central. La conquête du désert menée par le général et futur président Roca à la fin du XIXème siècle (1879-1884) aboutit ainsi à la récupération de tous les territoires sous contrôle exclusif des peuples indigènes et à la soumission ou à la mort d’une grande partie d’entre eux. S’il s’agissait pour beaucoup à l’époque et à l’image de la colonisation espagnole, de soumettre et de civiliser les peuples autochtones considérés comme des sauvages ; les spécialistes modernes ont pour leur part, davantage tendance à considérer cette période, comme un acte de génocide et de purification ethnique caractérisé (cf Daniel Feierstein auteur de El genocidio como practica social). Civilisation ou génocide, l’Argentine aura quoi qu’il en soit et durant de nombreuses années, complètement occulté les racines indigènes de son identité.

L’Argentine « en-quête »
C’est dans les années 90 qu’on assiste aux premières revendications ethniques des peuples autochtones qui aboutiront, le 11 août 1994 à la reconnaissance officielle de « la préexistence ethnique et culturelle des peuples indigènes argentins » (art. 75, al. 17). Depuis lors, cette quête identitaire de l’Argentine n’en finit pas de prendre des formes, diverses et variées.

En novembre dernier, lors du Festival des 3 Continents, la cinéaste argentine Daniela Seggiaro nous en donnait un aperçu avec sont très beau film Nosilatiaj. La Belleza qui mettait en scène l’incompréhension totale, poussée jusqu’au déni d’existence, des peuples indigènes par les descendants de colons. Quelques mois auparavant, l’auteur argentin Jorge Gonzalez nous racontait déjà à travers son superbe roman graphique Chère Patagonie la conquête du désert et la disparition culturelle des indiens. « A la fin du XIXe siècle, tout était terminé. Les Indiens étaient sous contrôle. Ceux qui subsistaient avaient l’interdiction de parler leur langue. Les indigènes ont fini par intérioriser leur culture. Puis ils en ont eu honte. Ils se sont mis à cacher leur identité, à la refouler dans l’alcool, puis à l’oublier. »
Les indiens Wichis s’invitent à Nantes
« Los Caminos del Wichi » l’exposition présentée à Cosmopolis du 14 au 25 mai est une nouvelle illustration de cette volonté de rappeler et de valoriser les racines indigènes de l’Argentine.Réalisée à l’occasion de la création musicale de Gerardo Jerez le Cam Las voces del silencio et de la venue à Nantes du penseur, écrivain et poète wichi, Lecko Zamora, cette exposition mêle à la fois plusieurs regards et différents supports.

Conçue comme un véritable parcours par le peintre Alberto Miño, le spectateur s’immerge petit à petit dans l’univers des Wichis. Au rez-de-chaussée, dans la première salle, des photos et des poèmes de Lecko Zamora ainsi que des objets et des peintures d’artistes Wichis nous invitent à découvrir le quotidien des indiens et ce qu’eux-même souhaitent nous transmettre de leur propre culture. Dans le couloir et la seconde salle, c’est au tour d’Alberto Miño de nous dévoiler sa propre vision de la culture wichi. Entrelaçant peintures et toiles ; couleurs vives et esquisses noires ; portraits, paysages ou encore scènes de vie, il nous propose un nouveau regard : celui d’un Argentin « nantais d’adoption, profondément lié à son pays natal et à la culture latino-américaine en général ». Alors que des arbres, des oiseaux et des silhouettes en papier nous guident progressivement vers l’escalier, nous découvrons à l’étage, les peintures des élèves d’Alberto Miño [1], qui tout au long de l’année 2012-2013, se sont intéressés, par son intermédiaire, à la culture wichi. Un nouveau regard, un autre point de vue, parfois illustré de textes ou de poèmes.

Les cultures indigènes de l’Amérique latine ne sont pas mortes, mais bien vivantes. Elles tentent, à leur échelle, de participer à l’émergence d’un monde nouveau qui, respectueux de sa diversité et fort des ses cultures ancestrales, leur permettrait enfin de vivre librement. Mais malgré l’adoption en 2007 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les défis et les obstacles restent nombreux notamment dans la reconnaissance des droits territoriaux des peuples indigènes. La plupart d’entre eux vivent en effet sur des terres qui attisent les convoitises des états et des multinationales, avides de grands projets (agriculture intensive, extraction minière, déforestation, construction de routes….) et désireux de trouver leur place dans l’économie mondialisée. Il apparaît dès lors que les revendications autochtones dépassent le strict cadre national et sud américain pour s’inscrire dans des dynamiques politiques beaucoup plus larges, qui interrogent directement les notions de développement et de gouvernance mondiale. Car quelle place la mondialisation est-elle réellement prête à laisser à l’expression de la diversité ?

Elise Jaunet