Le TIPNIS, un projet au coeur des contradictions…

Lundi 30 janvier 2012, un peu plus de 4000 marcheurs du CONISUR (Consejo Indigena del Sur, Conseil Indigène du Sud) ont rejoint la Paz… Partis le 17 décembre dernier d’Isinuta (département de Cochabamba) et de différentes zones du Chiapare, ils venaient rencontrer le gouvernement et demander l’annulation pure et simple de la loi « Corta » adoptée le 24 Octobre 2011. 44 jours de traversée à pied avec femmes, enfants et personnes âgées…

Les visages épuisés, les chaussures élimées et les camions de pompier qui veillent près des trottoirs improvisés en aire de repos, sont autant de témoignages de l’effort consenti et des kilomètres parcourus. Pourtant, si l’accueil à El Alto, mairie contrôlée par le M.A.S ( Movimiento al Socialismo – Instrumento Politico por la Soberania de los Pueblos, Mouvement vers le Socialisme – Instrument Politique pour la souveraineté des Peuples. Parti bolivien de gauche créé par Evo Morales en 1997) s’est vu marqué par l’attribution du qualificatif « d’Hôtes Illustres » (Huéspedes Illustres), la descente sur la Paz s’est faite dans l’indifférence quasi générale. Pire des barrages de policiers placés aux 4 coins de la « plaza Morillo », lieu pourtant prévu de rassemblement, ont largement participé à renforcer la tension ambiante. Quelques heures plus tard, des affrontements prévisibles avec les forces de police ont lieu et les marcheurs entrent de force sur la place, avant de se réunir avec le président, Evo Morales. Le projet dit du « TIPNIS » divise la Bolivie. La construction de la route entre Villa Tunari (à Cochabamba) et San Ignacio de Moxos (au Beni), destinée à assurer la liaison entre le Brésil et le Chili devrait traverser la zone naturelle du TIPNIS, terre ancestrale de quelques 50 000 Indiens amazoniens. Deux tronçons de route financés par le Brésil ont déjà été réalisés mais depuis juin 2010 les choses se sont envenimées.

Le 19 octobre 2011, une première marche menée par la CIDOB (Confederacion de los Pueblos Indigenas de Bolivia, Confédération des Peuples Indigènes de Bolivie) avait déjà rejoint la Paz. En opposition ouverte avec le projet et le gouvernement (manipulée par l’opposition et les Etats Unis selon le président Evo Morales), elle avait recueilli un large soutien au sein de la population pacenienne. Quelques jours auparavant une forte répression policière avait eu lieu provoquant d’indignement de la majorité des Boliviens. Cecilia Chacon, Ministre de la défense avait alors choisi de démissionner après avoir accusé le gouvernement de manquer « au dialogue, au respect des droits de l’Homme, à la non-violence et à la défense de la Terre Mère ». Quelques excuses et une promesse d’enquête plus tard, le gouvernement choisira finalement d’adopter la loi « Corta », déclarant le parc naturel TIPNIS comme zone protégée intangible et rendant de fait la route inconstructible. Si cette décision est venue consacrer une position partagée par beaucoup de Boliviens et notamment les peuples indigènes de l’Oriente, elle a néanmoins créé de nombreux mécontents notamment chez les « cocaleros » paysans andins, cultivateurs de coca et principaux soutiens du MAS, le parti du président Morales. Ce projet pourrrait en effet permettre de désenclaver cette zone, de renforcer le réseau routier bolivien, d’y apporter de nombreuses infrastructures encore inexistantes (éducation, santé, transport…) mais aussi selon certains d’y attirer de nombreux cocaleros et de faciliter le trafic de cocaïne. Entre protection de la Pachamama (la Terre mère) et des ressources naturelles et impératifs de développement et de respect des contrats passés, le gouvernement bolivien se trouve dans une situation très inconfortable, à l’instar de nombreux pays d’Amérique latine.  » La construction de la route entre Villa Tunari et San Ignacio de Moxos, destinée à assurer la liaison entre le Brésil et le Chili devrait traverser la zone naturelle du TIPNIS, terre ancestrale de quelques 50 000 Indiens amazoniens. »

Largement soutenus lors de leur campagne par les populations indigènes et désireux de revaloriser les cultures anciennes voir ancestrales bafouées par les colons puis les élites blanches ou métisses de leurs propres pays, plusieurs états sud américains se retrouvent aujourd’hui à assumer des contradictions et paradoxes qui relativisent souvent les changements « révolutionnaires » qu’ils disaient souhaiter instaurer. (Opposition des mouvements indigènes aux projets miniers à grande échelle du gouvernement Correa en Equateur, conflits entre les mouvements indigènes et le gouvernement Humala à propos du projet minier Conga au Pérou, barrage du Belo Monte au Brésil…)

Mais quelle place le système capitaliste et globalisé actuel laisse-t-‘il à de réelles alternatives de développement ? Dans quelle mesure ces pays peuvent-ils se prévaloir d’une préservation des ressources naturelles dont l’exploitation leur est pourtant indispensable s’ils veulent trouver une place sur le marché international ? Ces questions qui nous concernent tous, notamment depuis que la crise économique semble devoir s’inscrire durablement dans le quotidien de nombreux pays, se posent ici avec une acuité toute particulière. A cela s’ajoute en Bolivie, le double statut du président Evo Morales qui s’apparente assez largement à un conflit d’intérêt notable: celui-ci est en effet à la fois président d’un puissant syndicat de cultivateurs de coca et chef d’état. (cf ) Il a été beaucoup question du TIPNIS dans la presse bolivienne. Le gouvernement a profité de la légitimité de cette seconde marche pour mettre de plus en plus en question, la loi Corta adoptée quelques mois auparavant. Un referendum pour les habitants des régions du Beni et de Cochabamba a ainsi été envisagé. Parallèlement, la III Commission Nationale de la CIDOB qui a débuté le 25 mars dernier, a décidé qu’une nouvelle marche partirait de Chaparina le 25 avril prochain soit 7 mois exactement après la répression policière dont avaient été victimes les 1ers marcheurs. La COB (Central Obrera Boliviana, Centre Ouvrier Bolivien, principal syndicat), les secteurs paysans et plusieurs organisations extérieures au pays seront également présents aux dires de ses dirigeants. Dans tous les cas, il faudra bien trouver une solution pour honorer le contrat passé avec le Brésil qui a déjà investi 332 millions de dollars. Et l’État semble peu enclin à envisager sérieusement des tracés alternatifs qui contourneraient le parc du TIPNIS mais seraient également plus longs et plus coûteux…

http://www.wikistrike.com/2015/07/la-bolivie-donne-le-feu-vert-a-un-projet-controverse-de-route-nationale-et-d-extraction-du-petrole-et-du-gaz-dans-un-parc-national.h

 

Elise Jaunet

Avril 2012