Mujica – un président aux allures de citoyen lambda

On a beaucoup glosé sur le président uruguayen, sa simplicité, ses discours qui semblent exotiques, son atypisme. Mais l’ancien guérillero devenu président est un véritable homme d’Etat, dont devraient s’inspirer les dirigeants latino-américains.

José « Pepe » Mujica, 78 ans, est le 40e président de l’Uruguay. Ancien membre de la guérilla tupamaro, il a lutté contre la dictature qui régna sur son pays de 1973 à 1985. Il a participé à des offensives, à des enlèvements et à la prise de Pando, en 1969, lors de laquelle les Tupamaros s’étaient emparé du poste de police, de la caserne de pompiers, du central téléphonique et de plusieurs banques de cette ville à 30 km de Montevideo. Il a purgé 14 années de prison, dont il est sorti en 1985.
Au départ, son extrême simplicité avait quelque chose de pittoresque : sa modeste maisonnette sur une petite propriété rurale non loin de la capitale ; sa voiture, une vieille Coccinelle ; sa façon simplissime de s’habiller, y compris lors des manifestations officielles ; les 90 % de son salaire reversés à des organisations caritatives ; un seul véhicule de police pour assurer la sécurité de son domicile. C’était un acte de contestation, révèle-t-il dans un entretien qu’il nous a donné :

« Les républiques n’ont pas été inventées pour qu’on y recrée une petite cour : elles sont nées pour affirmer que nous sommes tous égaux. »

En 2013, il a fait du petit Uruguay un pionnier en légalisant l’avortement, le mariage gay et le cannabis. « Nous ne faisons qu’appliquer un principe simple : prendre acte de la réalité », a expliqué le président.
Une phrase qui illustre aussi bien ces trois initiatives audacieuses que l’attitude même de José Mujica : l’homme ignore tout du revanchisme qui trouble la vision politique de tant d’autres dirigeants actuels venus de la gauche radicale, et qui fait obstacle au consensus et à la gouvernabilité. Le président uruguayen manifeste un sens des réalités qui fait défaut, notamment, de l’autre côté du Río de la Plata, dans la Casa Rosada de la présidence argentine.
« Il y a 40 ou 50 ans, nous pensions qu’en arrivant au gouvernement nous pourrions inventer une nouvelle société, dit-il de son passé de guérillero d’extrême gauche. Nous étions candides : une société, c’est complexe, et le pouvoir, plus encore. » S’il porte un regard bienveillant sur les mouvements d’opposition, comme ceux du printemps arabe ou même les manifestations au Brésil, c’est pour s’empresser de souligner ensuite qu' »ils ne mènent nulle part ».
Selon lui, « ils n’ont rien construit. Pour construire, il faut inventer une nouvelle mentalité politique, collective, voir à long terme, avec des idées, de la discipline, de la méthode. Ce n’est pas nouveau, ça a l’air vieux même. Mais sans intérêt collectif, il est difficile de changer. » Le président uruguayen n’a pas l’arrogance qu’affichent certains transfuges de la gauche latino-américaine des années 1970 parvenus aujourd’hui au pouvoir.
Et force est de reconnaître que sous des gouvernements d’une gauche qui se révèle moderne et forme une coalition (Mujica a succédé à Tabaré Vázquez [au pouvoir de 2005 à 2009], qui devrait revenir à la présidence [l’élection présidentielle aura lieu en octobre 2014]), l’Uruguay, sans exaltation, ni mythe du salut, ni esprit vengeur, est un pays qui sort du lot sur notre continent.
Des faubourg de Montevideo, « Pepe » Mujica envoie un message : « Nous, Latino-Américains, devons avoir la sagesse de chercher à nous accorder pour peser, ensemble, dans le monde. Nous avons besoin du Brésil, mais le Brésil lui aussi a besoin de nous tous, car les défis se posent à l’échelle continentale. » Si Mujica était davantage entendu au sein du Mercosur, peut-être le Brésil ne serait-il pas acculé dans une véritable impasse idéologique, coincé entre l’Argentine et le Venezuela.

SOURCES : COURRIER INTERNATIONAL